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14 avril 2008

Un A380 vole au kérosène de synthèse: focus sur ces carburants de synthèse

Après l’article sur les essais menés par Boeing pour embarquer une pile à combustible sur un avion, nous nous devions de faire un bref état des lieux sur les développements en cours pour pallier la baisse de production du pétrole ; car s’il est intéressant de faire voler grâce à l’hydrogène un avion cette solution n’est pas encore applicable aux avions de transport commerciaux.

Ces appareils font en revanche l’objet d’études en vue de les faire voler avec des kérosènes synthétiques qui sont déjà une réalité et ce depuis bien longtemps.

Ainsi récemment non seulement l’USAF a fait voler un bombardier B52H avec du kérosène synthétique, mais Airbus a aussi mené des tests en faisant voler un A380 avec un mélange de kérosène classique issu du pétrole par distillation et du kérosène synthétique issu d’une manipulation chimique GTL (Gas To Liquid) à hauteur de 40% dans le mélange. L’exploit ne revient pas qu’à Airbus, mais aussi à Rolls-Royce dont un des réacteurs TRENT 900 à pu fonctionner avec un tel mélange durant un voyage entre Filton-Angleterre et Toulouse en France.

Cette expérience est encourageante, mais il faut la relativiser : d’une part, seul un des quatre réacteurs a fonctionné avec ce mélange (en effet l’A380 a cette particularité technique de disposer de réservoirs séparés pour chacun de ses réacteurs) ; d’autre part ce kérosène de synthèse n’est pas répandu et sa réalisation-plus complexe que la classique distillation- doit être assez couteuse.

Par ailleurs la compagnie Virgin Atlantic de Richard Branson a fait voler un Boeing B747-400 avec un mélange de kérosène classique et d’agrocarburant entre Londres et Amsterdam (voir l’article).

En revanche, le B52H de l’USAF qui avait volé avec du kérosène de synthèse avait utilisé non pas du GTL, mais avec du SynJet F.T. mélangé avec du kérosène. Ce kérosène SynJet résulte lui d’une réaction chimique du charbon solide pour donner du carburant liquide CTL. Cette solution était pratiquée par les allemands (procédé Fischer-Tropsch) pendant la seconde guerre mondiale pour pallier au manque de pétrole, mais aussi par l’Afrique du Sud depuis l’apartheid. Aujourd’hui 30% des carburants de ce pays sont issus d’un tel procédé.

Point important à relativiser : la synthèse GTL ou CTL n’apportent pas de gain écologique immédiat. Le GTL rejette seulement moins de particules imbrulées et de souffre mais tout autant de CO2 ; quand à la synthèse CTL elle produit durant son processus beaucoup de CO2 !

Pour comprendre tous les types de carburants de synthèse qui existent, voici un petit récapitulatif :

Quelles sont les étapes générales de ces procédés pour fabriquer des carburants utiles ? A partir de la matière première à disposition (charbon, gaz naturel, biomasse valorisée) il y a 3 étapes :



Les deux premières étapes font appel à des méthodes différentes selon la matière première utilisée dont voici un explicatif :

* Le procédé Bergius consiste à fabriquer du kérosène en faisant réagir du charbon avec de l’hydrogène à 450°C et sous haute pression, en présence d’un catalyseur.

* Le procédé Fischer-Tropsch consiste à fabriquer un gaz à partir du charbon lequel est retransformé en carburant liquide, ou à partir de gaz naturel directement.

* Le procédé Karrick permet de transformer du lignite en carburant via carbonisation à basse température.

Aujourd’hui il y a quatre grandes filières :




Qui est présent sur ce marché (bref tour d’horizon) ?

* D’abord il y a les compagnies sud-africaines SASOL et PETRO SA qui produisent des carburants de synthèse à partir du charbon (filière CTL). SASOL produit en Afrique du Sud du carburant de synthèse à partir du charbon (filière CTL) et de nombreux avions volent déjà avec un mélange de kérosène de synthèse CTL-kérosène classique. Cette compagnie, avec SHELL sont engagés en partenariat pour la construction d’usines de production de carburants de synthèse à partir du charbon filière CTL en Chine, laquelle dispose de grandes réserves de charbon.

* SHELL produit aussi des carburants de synthèse à partir de gaz naturel (filière GTL), c’est cette compagnie qui a fournit le mélange à Airbus pour le vol de l’A380.

* QATAR PETROLEUM (QP) apparaît dans cette technologie comme un acteur de taille ayant une stratégie d’essor affichée pour les carburants de synthèse, surtout dans la filière GTL : la compagnie qatarie a signé des accords de coopération avec SHELL, EXXONMOBIL, CHEVRON et SASOL. Le Qatar profite de ses réserves en pétrole mais aussi de ses immenses réserves en gaz naturel : le but est de trouver les applications utiles à ce gaz. Or avec l’augmentation continue du prix du baril de pétrole, la filière GTL deviendra intéressante à terme ; le Qatar veut donc occuper la place dominante sur ce marché à venir et développer son expertise technique.

Ainsi l’on peut citer la Joint-venture entre QP (51%) et SASOL (49%) : Oryx GTL qui produit 34,000 barils par jours. Le procédé utilisé est particulier : il s’agit du SPD (Sasol Slurry phase Distillation).

Une société commune a été créée entre SHELL et QP autour du projet Pearl GTL au Qatar pour un objectif de 140,000 barils/jours de GTL. SHELL développe aussi le projet de production GTL à BINTULU en Malaisie (procédé Fischer-Tropsch) pour une production de 14,700 barils/jours. Alors on le voit , SHELL parie aussi sur la filière GTL pour les carburants de synthèse, d’où sa coopération avec Airbus relatée ci-avant.

* CHEVRON développe aussi des carburants de synthèse dans la filière GTL comme ne témoigne le projetESCRAVOS GTL au Nigeria détenu par CHEVRON Nigeria (75%) et Nigerian National Petroleum Company NNPC (25%) pour une production de carburant de synthèse à hauteur de 34,000 barils/jours avec un objectif à terme de 120,000 barils/jours. Trois plans de production ont été ou sont en cours de réalisation : EGP-1 et EGP-2 et EGP-3. Plusieurs industriels sont impliqués dans la construction des sites dont entre autre JGC of Japan, Kellogg Brown and Root (KBR), et Snampogetti (Italie).

* La compagnie française TOTAL mise aussi sur la filière GTL avec son projet DME (Diméthyle Ether) à partir de Gaz naturel, bien que Total s’en serve d’abord pour produire du GPL. Par ailleurs Total a plutôt développé les agrocarburants à partir de la biomasse pour le transport terrestre. Le Kérosène de synthèse ne semble pas être un objectif affiché, bien que la maîtrise de la filière GTL lui permette d’en produire, à partir du gaz naturel ou de la biomasse. Ainsi Total travaille sur la filière GTL à partir de gaz naturel dans un consortium avec VELOCYS (filiale de l’institut BATTELLE) pour améliorer le process industriel pas assez efficient selon Total. La compagnie mise plutôt sur la filière BTL (Biomass To Liquid) à partir de la biomasse par procédé Fischer Tropsch, méthanol ou DME. Mais ce choix repose surtout sur le fait que TOTAL a investi dans les agrocarburants.

* A noter aussi la création d’un consortium Européen regroupant constructeurs automobile (Renault, Volkswagen, Daimler et Bosch en tant que principal sous traitant automobile) et des pétroliers (SHELL, CHEVRON et SASOL) : l’AFSE (Alliance For Synthetic Fuels in Europe). Cette association a surtout pour but de promouvoir auprès des gouvernements européens les carburants de synthèse, ainsi que de porter des projets de démonstration en coopération avec des centres de recherche. Fait intéressant : pas un seul constructeur de turboréacteur européen (Rolls Royce ou SAFRAN ex-SNECMA) n’y est présent.

Alors on le voit, les carburants de synthèse (dont le kérosène) font l’objet d’études intéressantes et les projets se multiplient. Néanmoins ces projets, les tests réalisés comme le vol d’un A380 ou d’un B737-400 ont surtout pour finalités de valider des expertises et des solutions techniques. Certaines compagnies comme Virgin Atlantic semblent d’ailleurs plus s’en servir comme vecteur publicitaire.

Comme le rappel l’Institut Français du Pétrole IFP, le problème repose, à court terme, sur l’amélioration des procédés techniques de distillation du pétrole pour en améliorer son efficience c'est-à-dire réduire les résidus et augmenter les carbures utiles produits.

Quid des constructeurs de turboréacteurs ? le cas de SAFRAN.

Pour terminer ce tour d’horizon, il faut relever le rôle premier joué par les constructeurs de turboréacteurs, car ce sont leurs engins qui brulent le kérosène, classique ou de synthèse. Si, comme nous l’avons dit, Rolls-Royce a fait fonctionner son TRENT-900 avec un tel mélange, SAFRAN ex-SNCEMA n’est pas en reste puisqu’il a présenté une turbine CFM fonctionnant au biodiésel (mais il s’agit là d’un agrocarburant). SAFRAN ne s’est donc pas focalisé sur les kérosènes de synthèse issus des filières GTL, CTL ou BTL, car comme le précise Xavier Montagne du groupe : « dans un grand nombre de cas, ils font appel à des technologies encore en développement. La synthèse Fischer- Tropsch permet en revanche de produire du kérosène de synthèse à partir de gaz naturel, de la biomasse ou du charbon (….) mais cette filière va de pair avec des émissions importantes de dioxyde de carbone (CO2). En conséquence, la production industrielle de tels carburants de synthèse à partir du charbon doit être associée à la mise en place de systèmes de récupération de CO2 sur le site de production. Par contre, si la matière première utilisée est la biomasse, le bilan CO2 global est alors très favorable. ».

SAFRAN mise donc sur les agrocarburants pour ses turboréacteurs, mais ceux-ci ont encore de nombreux défauts : le pouvoir calorifique de l’éthanol est 40% moins élevé que celui du kérosène, bien que celui de l’EMVH (Esther méthyle) soit à peu près équivalent. En revanche ces deux agrocarburants sont instables thermiquement (alors que le kérosène est stable jusqu’à -50°C), et leur combustion forme des dépôts dans les canalisations des injecteurs.

SAFRAN mène des projets de recherche dans cette voie des agrocarburants avec l’Inra, l’Onera, le Cerfacs, le CNRS, l’IFP, MMP et Airbus : le projet CALIN ; et participe aux projets européens ALPHA-BIRD et DREAM.


Pour conclure :

Face à la pénurie de pétrole qui s’annonce, les compagnies, constructeurs, et pays avancent leurs pions dans ce secteur prochainement stratégique, et ce selon leurs avantages respectifs (filière GTL au Qatar qui dispose d’énormes réserves de gaz naturel, filière CTL en Chine ou en Afrique du Sud qui disposent de grandes réserves de charbon (voir à ce titre le projet d’usine CTL de SHENHUA opérationnelle depuis début 2008), et filière BTL en europe qui compte sur sa biomasse-bien qu’elle dispose de réserves de charbon ).


Matthieu T.


Sources:
http://www.world-ctl2008.com
http://www.oryxgtl.com.qa
http://www.shell.com
http://www.hydrocarbons-technology.com
http://www.total.com/fr/responsabilite-societale-environnementale/futur-energetique-1/nouvelles-energies_8873.htm
http://www.total.com/static/en/medias/topic1618/dme_8_p_anglais_definitif11.pdf
http://www.synthetic-fuels.org/index_en.php
http://www.leblogenergie.com/2007/10/la-formidable-a.html
http://www.enerzine.com/12/4054+L-A380-alimente-au-gaz-liquefie+.html
http://www.enerzine.com/12/4054+L-A380-alimente-au-gaz-liquefie+.html
http://www.shell.com/home/Framework?siteId=qatar
http://www.safran-group.com/IMG/pdf/SAFRAN1_VF-PA16.pdf