Mise à jour - 31 aout 2010 : Pierre Gadonneix, ancien PDG d'EDF, va être nommé président du conseil de surveillance de LATECOERE. Le nouveau président du conseil de surveillance a d’ores et déjà annoncé rechercher un partenaire en Europe dans un marché de l’aérostructure encore trop éclaté. Aux Etats Unis, Vought et Spirit dominent ce métier ; Mitsubishi et Kawasaki au Japon. Pierre Gadonneix a aussi émis l’hypothèse que le Fonds Stratégique d'Investissement pourrait se joindre à la nouvelle stratégie de l’équipementier.
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Plus que tout autre secteur, l’aéronautique se prête à une démarche d’intelligence économique. L’industrie aéronautique fait face à plusieurs défis d’ordre technologique, environnemental et réglementaire. Les défis sont aussi monétaire et concurrentiel. Latécoère, grand équipementier, en fait actuellement les frais. Une histoire en cours qui mérite toute notre attention et sur laquelle une politique d’intelligence économique a beaucoup à dire.
Latécoère, grand sous traitant toulousain de 3800 personnes, s’approche dangereusement d’un naufrage. Cotation en bourse suspendue, dette abyssale, partenaires méfiants, stratégie défaillante, Latécoère traverse une passe difficile depuis quelques mois. Latécoère s’affaiblit gravement et étouffe de plus en plus dans le paysage industriel français.
Le retournement est radical pour cette société qui apparaissait en 2008 comme un exemple à suivre. Faisant figure de « véritable laboratoire industriel » selon le journaliste Pierre Sparaco, Latécoère avait choisit « une croissance externe exceptionnelle, d’écraser ses coûts, d’accroître sa rentabilité et de s’extraire imperceptiblement de la zone euro, de s’internationaliser en ignorant totalement les frontières.»
Pour rappel, Latécoère intervient sur deux marchés de l’aéronautique, essentiellement l’aérostructure (tronçons de fuselage et portes, deux tiers du chiffre d’affaires) et le câblages / systèmes embarqués (27 % du CA). Ces marchés sont mondiaux. La tendance est à la concentration des acteurs de ces marchés. La concurrence est rude avec trois américains, trois japonais, un britannique et un italien (les autres étant de plus petites tailles).
Parmi eux, Latécoère est une pépite parce qu’il se distingue avec sa stratégie multi-clients. Latécoère a considérablement diversifié sa dépendance en partageant son portefeuille de clients entre Airbus (39%), Boeing (30%), Embraer (13%), Dassault (13%) et Bombardier (5%).
2008, le tournant : Latécoère est fragilisé depuis l’échec du rachat des sites d’Airbus à Méaulte et Saint Nazaire. En Janvier 2008, la Direction de Latécoère annonçait pourtant fièrement qu’EADS avait choisi sa société pour la reprise des usines françaises d’Airbus. Latécoère nourrissait alors une ambition de figurer dans les dix premiers équipementiers aéronautiques mondiaux.
L’échec est alors patent lorsque Latécoère annonça la rupture des négociations avec EADS. Plusieurs raisons ont été invoquées par la Direction: une conjoncture économique maussade, une parité euro dollar et une politique de la BCE qui pénalisent l’aéronautique européenne et l’incapacité à trouver une solution en Allemagne.
Il s’agit d’un coup d’arrêt net pour l’équipementier en France, dans un contexte où EADS conclut les négociations avec le britannique GKN pour son usine de Filton et conclut la vente du site de Laupheim à l'allemand Diehl. Latécoère sort affaibli de cet épisode et bascule d’une position offensive à une position défensive. De maillon fort, la société est renvoyée à un niveau de sous traitant pris dans un rapport de force industriel entre plusieurs pays qui veulent afficher leur leadership sur ce marché et lorgnent désormais sur la société française.
Un patrimoine industriel unique
La société Latécoère est plus d’une société d’aéronautique. Latécoère a porté la création d’une aéronautique française. A son origine, on trouve Pierre George Latécoère qui prend la direction des entreprises familiales en 1905 et décide de diversifier les activités de la société éponyme. Durant la première guerre mondiale, la société obtient la fabrication de mille avions de reconnaissance biplaces. Comme la société est novice dans la construction aéronautique, l'administration lui affecte des équipes qualifiées (Art et Métiers, Ecole Bréguet, etc…). C'est là le début de l'industrie aéronautique à Toulouse. Après la guerre, l'avion apparaît de plus en plus comme un moyen de transport d'avenir. P. Latécoère décide alors de développer des lignes aériennes (Espagne, Maroc, Algérie…) qui ont durablement arrimé la France dans l’aéronautique. Latécoère continua la production de 65 modèles d’avions et participa significativement à la construction d’un territoire aéronautique dans la région toulousaine. Un territoire qui occupa toute sa place dans l’émergence de l’Aérospatiale et du G.I.E AIRBUS.
La fragilisation aujourd’hui de Latécoère menace un territoire et toute une filière. Un patrimoine qui doit être remis sur des bases saines après le renouvellement d’une grande partie du management. La société ne pourra peser dans les affrontements industriels qui se profilent sans un soutien de l’Etat. Dans le cas contraire, ce patrimoine sera démantelé et vendu par appartements à ces concurrents nord américains, japonais ou britanniques.
L’industrie aéronautique repose sur les sous traitants. D’un côté Airbus & Boeing font prendre de plus en plus de risques à leur premier cercle de fournisseurs. D’un autre côté, ce sont les motoristes, les systémiers et les grands équipementiers qui décident de l’arrivée des nouveaux entrants chinois, indiens ou russes sur le marché. En décidant de participer ou non aux grands programmes lancés dans ces pays, ces sous traitants conditionnent le succès commercial d’un avion.
Latécoère a joué le jeu en lançant de grands investissements en R&D sur les programmes majeurs de la dernière décennie. Latécoère a subi de plein fouet les très nombreux retards : A380, premier A350, A400M, Boeing Dreamliner 787. Mais c'est aussi un modèle de développement qu'il faut questionner, celui de la délocalisation. Latécoère a été précurseur la dedans alors même que ses prestataires français pouvaient s'aligner sur les prix (exemple de la République tchèque).
On concluera sur le mot du Professeur Harbulot : "La lecture du rapport de Lilas Demmou sur la désindustrialisation de la France (document de travail de la Direction Générale du Trésor et de la Politique Economique, février 2010) indique que 63% des destructions d’emploi en France sont dues à la mondialisation. Il est évident qu’il faut passer à l’action sur un maximum de fronts pour stopper cette hémorragie. L’économie de territoire n’est pas un pis aller, elle doit être le passage obligé d’une reconquête de positions en termes de marché..."
Adrien