Utilisé aussi bien dans la lutte contre la piraterie maritime au large des côtes somaliennes que contre les bases des Talibans au Pakistan, le drone est une arme sophistiquée utilisée dans un rapport de force du « fort au faible ». Or, ces derniers temps, une nouvelle forme de drone plus rustique et produit à faible coût mais tout aussi efficace semble apparaître sur les marchés de l’armement au point d’inverser le rapport de force du « fort au faible » à celui, plus asymétrique, du « faible au fort ».
Construits dans des registres tout aussi offensifs comme celui du brouillage ou de l’attaque d’objectifs ciblés, les drones « SW-6 » chinois et « Smerch » russes pourraient ainsi se retrouver aux mains d’adversaires que l’on croyait dépourvus de moyens sophistiqués, face à des troupes occidentales qui seraient confrontées ainsi à un scénario de type « techno guérilla ».
1) Le concept de « techno guérilla ».
L’analyse de certaines « Road Side Bomb » aux mécanismes très sophistiqués et autres « Improvised Explosive Device » (bombes artisanales) utilisées en Afghanistan contre l’OTAN, montre que les guérillas contemporaines ne sont pas des objets a-technologiques. De ce point de vue, le fait technologique induit un impact sur la stratégie des groupes insurgés ou terroristes (Talibans, réseau Al Qaida) au même titre qu’il produit un impact sur les structures de force étatique tentée par l’utilisation des « techno guérilla » (Chine, Iran). Ce même fait et cette instrumentalisation posent ainsi la question de la mutation des mouvements insurrectionnels/de guérillas/terroristes vers des formes plus techniques, confinant au modèle de la techno guérilla.
Le concept de « techno-guérilla » remonte aux années 70. Il est en partie issu d'une intense réflexion s'étant développée dès la fin des années 60, en France et en Allemagne, autour de la possibilité de dissuader une agression soviétique éventuelle par la perspective d'une guérilla permanente mais employant des armements de haute technologie. Ce courant a été développé en France par le Chef de Bataillon Guy Brossolet (« Essai sur la non-bataille »). La diffusion de ces idées a produit un débat portant sur le développement de « stratégies alternatives », portant sur des doctrines et des propositions également qualifiées de « défense non-offensive/Non-Offensive Defence » (NOD). Ainsi, l’utilisation de technologies de pointe dans un cadre défensif, face à un ennemi supérieur en nombre et en matériels et cherchant à envahir le territoire, privilégiait l’attrition dans les rangs de l’adversaire, sur la manœuvre.
2) La vision chinoise de l’emploi de drones dans le cadre de la « techno guérilla ».
Depuis le 16ème siècle, la marine chinoise est marquée par des options de défense côtière. Sa structure de force s’est essentiellement articulée autour d’un très grand nombre de patrouilleurs et de sous-marins assurant une fonction d’éclairage/reconnaissance. Or, depuis les années 1980, il est apparu qu’elle s’est dirigée vers le développement de capacités de haute mer. Elle a alors réduit un certain nombre de déficiences touchant à sa couverture antiaérienne, à la lutte anti-sous-marins et aux opérations sous-marines. Les années 2000 sont celles des évolutions dans le domaine des opérations amphibies. Les années 2010 seront très vraisemblablement celles du développement des capacités aéronavales embarquée. C’est dans ce cadre qu’apparaissent les drones chinois type An Jian et SW-6. Le but, pour le premier, est d’effectuer des attaques bien ciblées sur des avions ennemis ou des objectifs adverses, alors que le second a pour rôle de brouiller les systèmes d’autodéfense adverse afin de rendre les navires ennemis vulnérables le temps de l’attaque.
2a) Le drone An Jian
La Chine ne cesse de développer un nombre toujours plus important de systèmes d’armes innovants. « An Jian » (Dark Sword), est un drone conçu par l’Institut de recherche sur l’étude d’avion de Shenyang Aircraft Research Institute du groupe industriel AVIC (China Aviation Industry Corporation), et a été exposé pour la première fois au Salon international de l’aéronautique et de l’espace de Paris en 2007. Cet avion sans pilote supersonique et furtif possède une capacité de propulsion considérable. Il sera utilisé pour le combat aérien dans le futur. Il est capable d’opérer à basse altitude et dispose d’une très grande agilité. Si peu d’informations circulent sur la crédibilité et l’avancement du programme, les évolutions stratégiques actuelles de la défense chinoise et sa volonté de superposer des concepts classiques avec du matériel de « techno-guérilla » nous portent à croire que ce démonstrateur de drone préfigure une réelle volonté de développer ces technologies de pointe. Il peut entre autres offrir des solutions à des pays ne possédant pas d’un budget suffisant pour s’offrir une aviation de chasse. Moins cher et plus rustique que les drones occidentaux, il serait destiné aux pays frappés par les embargos américains et européens, comme l’Iran par exemple.
2b) le drone SW-6
Les drones font clairement partis des axes de recherche prioritaires des ateliers de conception d’armements chinois. Le concept SW-6 développé par la société AVIC et qui fut présenté au dernier salon du Bourget est à ce titre intéressant à étudier et dans sa conception, et dans son principe d’emploi. Drone consommable de brouillage des systèmes radars adverses, l’originalité de celui-ci réside dans sa mise en œuvre. En effet, le drone SW-6 est conditionné dans un conteneur largable par avion. Une fois le conteneur largué, celui-ci s’ouvre, permettant l’éjection du SW-6. Une fois éjecté, celui-ci déploie ses voilures et son empennage, permettant dés lors la mise en marche d’un petit moteur de propulsion à hélice.
Ainsi la mise place du drone au dessus de son objectif se fait par l’aviation, ce qui permet une approche moins brutale que le transport et l’éjection par roquette comme le pratiquent les russes pour leurs drones produits à faibles coûts. Au vu de la petite taille du SW-6, un chasseur-bombardier peut en larguer plusieurs au cours de la même phase d’attaque, contre un porte avions ou ses navires d’escorte par exemple. La saturation électronique du système de défense adverse s’en trouve ainsi facilitée.
La volonté clairement affichée par la société AVIC, associée au faible coût du drone, est de trouver des clients à l’export, au sein de pays ne disposant pas forcément d’un grand budget pour leur défense. Surtout, ce système de drone peu onéreux peut aussi être employé de façon déclinée à partir d’un autre support, par des forces non conventionnelles, des milices ou des guérillas, cherchant à saturer les systèmes électroniques de protection de bases terrestre par exemple, pendant une phase d’attaque au sol par des insurgés.
Cela fait de ce drone un matériel type pour un emploi dans le cadre d’une « techno-guérilla ».
3) Le modèle russe : le concept « Smerch ».
Dans le cadre de ses recherches pour la production d’un drone de captage d’informations à bas coûts, la Russie a développé le concept Smerch, qui utilise une roquette pour mettre en place un drone.
Le modèle 9M534, projette en effet une roquette transportant un drone à plus de 90 kilomètres de son point de départ en 4 minutes. Celui-ci, de type 9M61, est produit par la société « Enics », à Kazan. Il est équipé d’une caméra d’observation et de moyens de transmissions de données d’une portée de 70 km. Son autonomie est de 20 minutes à 500m d’altitude. Il peut transporter une sous-munition bien que son emploi principal soit destiné à l’évaluation (BDA, Battle Damage Assessment) de la destruction en cours des objectifs visés par les tirs de roquettes amies, afin d’effectuer les corrections de tirs et d’envoyer les dernières salves. Il permet de baisser la consommation en roquettes de 25% jusqu’à la destruction totale de l’objectif, par sa fonction d’ « ajustement » des tirs. En service depuis 1987, le système « Smerch » a été vendu au Koweit en 1990 et à l’Algérie en 1999. La polyvalence du lance roquette pouvant se transformer en « lance drone » fait de cette arme un matériel intéressant pour les pays à faibles budgets militaires.
4) Une approche occidentale différente, le « QF-4 UD killer zombie » :
Les drones américains « Predator » et « Reaper » sont devenus depuis peu des armes primordiales dans le cadre de la lutte contre les talibans pakistanais. Mais ces matériels de guerre ultrasophistiqués ont un coût de fabrication et d’exploitation élevé. Un seul « Reaper » coûte en effet 100 millions de dollars. Afin de produire une forme de « drone » à faible coût, un centre d’étude américain appelé « AMARC » (Aerospace Maintenance and Regeneration Center), a envisagé le recyclage en « drones d’attaque » d’anciens avions de chasse « Phantom II F4 ».
Appelés « QF-4 Unmanned Drone », ces avions sans pilotes étaient à l’origine destinés à servir de cibles pour les séquences de tirs contre avions. Or, récemment, comme le montre la photo, un de ces « QF-4 UD » a récemment tiré un missile de type HARM (High Speed Anti-radiation Missile). Ce missile, employé contre les défenses anti-aériennes ennemies, capte le signal des radars de guidage des missiles sol-air adverses et se cale dessus jusqu’au moment de l’impact. Ce qui devait n’être qu’une simple expérience a attiré l’attention de nombreux observateurs sur place, au point peut-être d’imaginer une deuxième vie pour les « Phantom II F-4 » employés comme « drones » de destruction de batteries de missiles sol-air. En effet, un seul « QF-4 UD », équipé de 4 missiles « HARM » coûte 2 millions de dollars, ce qui n’est rien comparé aux 100 millions de dollars déboursés pour l’achat d’un « Reaper ». Cette étude reste cependant à l’état de projet pour l’instant, sachant que le but, hormis le bas coût de production, est d’économiser la vie d’un pilote en phase d’attaque de batteries sol-air adverse. Il ne s’agit donc pas ici, sur le plan tactique, d’une « techno-guérilla ». Cependant, si ce projet devait être mené à son terme, il pourrait inspirer des nations n’ayant pas les moyens de s’offrir une chasse moderne par le recyclage de vieux Mig 21 par exemple, en drones d’attaque.
Conclusion :
Les drones à faibles coûts de production font partie des nouvelles formes de « techno-guérilla » et semblent procéder d’une hybridation plus poussée entre les formes « régulières » (brouillage du champ de bataille…) et « irrégulières » (menaces d’attaques de bases de l’OTAN par des drones « talibans »…) de la guerre que ce que n’envisageaient initialement leurs concepteurs. Ces drones à faible coût de production seront de plus couplés avec des formes classiques de défense. Ainsi certains Etats pourraient ne plus se contenter de déployer des schémas de force traditionnels répondant aux stricts critères des défenses occidentales, mais superposer un concept de guerre classique à un concept de guérilla plus asymétrique et déroutant. Le concept chinois est caractéristique de ce fait. Exportable, il pourrait entraîner l’émergence d’autres systèmes de « techno-guérilla » (Iran, Algérie, Corée du Nord ?). Il semble en tout cas déjà assuré que les formes de guerre dont nous pourrions voir l’émergence dans les années à venir ne correspondront pas à la vision que nous pouvions en avoir au travers des derniers livres blancs sur la défense.
Arnaud
Sources :