Les aléas du thermomètre mondial contraignent l’industrie à se renouveler, s’agissant de ses approvisionnements énergétiques et en matériaux. Après nous être focalisés sur le titane, Flyintelligence se focalise aujourd’hui sur l’enjeu du lithium...
Le lithium constitue aujourd’hui une convoitise de choix pour les constructeurs aéronautiques et spatiaux. En effet, le lithium constitue un métal mou alcalin rentrant dans la composition des alliages avec l’aluminium, le cadmium, le cuivre et le manganèse. Cependant, sa faible masse molaire (la plus faible parmi tous les métaux) font du lithium une ressource stratégique en ce qu’elle est convoitée par de grandes puissances et par différents secteurs.
A quoi sert le lithium ?
Dans l’aéronautique, le lithium permet de concevoir des pièces légères. Le constructeur canadien Bombardier conçoit des aéronefs dont la cellule est composée de 24 % d’alliage aluminium-lithium et 46 % de matériaux composites légers. Plus récemment, des batteries Litihum-Polymère associé à un moteur électrique de 25 cv ont permis la réussite du premier vol d’un avion électrique (baptisé « ELECTRA »).
Dans les secteurs spatial et naval, le lithium rentre dans la composition de l’hydroxyde de lithium, substance permettant d’extraire le gaz carbonique en milieu clos (capsules spatiales, sous-marins).
Le lithium rentre également dans la composition d’un grand nombre de produits électroniques portables (ordinateur, téléphone, baladeurs, etc…). En effet, les batteries lithium-ion offrent une capacité de stockage d’énergie par unité de masse trois fois supérieure à celle des batteries classiques.
En outre, le lithium commence à faire son apparition dans le secteur automobile. La future voiture électrique du groupe Bolloré, la Blue Car, fonctionnera avec des batteries au lithium. Lors du récent mondial de l’Automobile qui s’est tenu à Paris, Vincent Bolloré a expliqué que ce véhicule sera mis sur le marché à la fin de l’année 2009 pour un prix oscillant entre 25 000 et 30 000 €.
Mais surtout, le lithium constitue un combustible rentrant dans la composition de tritium, substance dont la réaction avec le deutérium permet la fusion nucléaire. « Dans un réacteur à fusion basé sur la réaction Deutérium-Tritium, le composant chargé de produire in-situ le tritium s'appelle la couverture tritigène. Il contient des composés à base de lithium, sous forme liquide ou solide et avec des enrichissements en lithium-6 variables suivant les concepts. Typiquement, on retiendra qu'un réacteur de 1000 MWe basé sur la réaction Deutérium-Tritium nécessite en un an 100 kg de deutérium, environ 150 kg de tritium (produit à partir du lithium) et environ 300 kg de lithium-6 » (Source CEA).
Où trouve-t-on du lithium ?
Selon le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA), « la teneur moyenne de lithium dans l'écorce terrestre est d'environ 50 ppm (partie par million). Il est plus abondant que l'étain ou le plomb et même dix fois plus abondant que l'uranium (3 à 4 ppm). Le prix d'un kg de lithium est inférieur à 5$ et les réserves sont estimées à 12 millions de tonnes (à titre de comparaison, les réserves en uranium naturel sont estimées à moins de 4 millions de tonnes et le prix d'un kg d'uranium est voisin de 100 $).
Le lithium peut aussi être tiré de l'eau de mer (0.17g/m3) ce qui engendre une réserve potentielle de 230 000 millions de tonnes ».
La rentabilité d’une exploitation économique du lithium est conditionnée par des gisements en forte concentration, très peu nombreux sur Terre.
L’Amérique du Sud constitue le plus grand réservoir de lithium au monde. On trouve cet « or gris » au nord-ouest de l’Argentine, dans la région d’Antofagasta de la Sierra, où sont concentrées plus des deux tiers des ressources mondiales de lithium. Plus au nord, la Bolivie possède du lithium dans le lac salé de Uyuni, où le groupe Bolloré espère pouvoir s’approvisionner pour la fabrication de ses batteries. Une usine d’exploitation y a du reste été créée en mars dernier. Enfin, le Chili exporte abondamment du lithium au point d’être devenu le premier exportateur depuis une dizaine d’années. On trouve également des gisements dans la péninsule russe de Kola, en Australie, dans les lacs salés du Tibet (Chine) et aux Etats-Unis (en Caroline du Nord).
Les enjeux
Tout d’abord, on notera que selon les secteurs, le lithium offre différents avantages. Pour l’aéronautique, il s’agit d’un métal léger permettant de construire des aéronefs moins lourds et, partant, moins gourmands en kérosène. Pour l’automobile, il s’agit de proposer des véhicules alternatifs à ceux fonctionnant aux carburants issus du pétrole. Pour le secteur ô combien sensible du nucléaire civil, il s’agit de fournir une énergie dans une quantité presque illimitée. Le lithium constitue également un pilier de la communication moderne dans la mesure où il entre dans la composition technologique d’un grand nombre de systèmes électroniques nomades.
Le lithium constitue donc un métal-clé pour des secteurs tout aussi stratégiques les uns que les autres. Si bien que l’enjeu de demain et d’après-demain pour chaque Puissance est justement de s’affranchir d’une situation de dépendance sensible dans ses approvisionnements en lithium. Selon le CEA, « si l'on fait l'hypothèse (irréaliste) que la totalité de la production nucléaire mondiale est fournie par des réacteurs à fusion, alors les gisements miniers en lithium sont épuisés en 5000 ans. L'utilisation du lithium dans l'eau de mer repousse cette limite à plusieurs millions d'années. On terminera en indiquant que le coût de l'énergie produite par un réacteur à fusion est déterminé par la hauteur des investissements initiaux (environ les 2/3 du coût) auxquels s'ajoutent les coûts de remplacement régulier des composants vieillis (environ 1/3 du coût) : le coût du combustible est donc marginal ». Notons toutefois que le prix du lithium a décuplé depuis 2003. Et le CEA de conclure « que la production d'énergie via la fusion thermonucléaire utilisant la réaction Deutérium-Tritium met en jeu une production de tritium sur site à partir du lithium. Les ressources en combustibles, limitées par le lithium, sont estimées à plusieurs milliers d'années si le lithium est d'origine tellurique et à plusieurs millions d'années si le lithium est extrait de l'eau de mer ». Le dessalement de l’eau de mer peut donc garantir une indépendance d’approvisionnement en lithium, elle-même au service de l’indépendance énergétique et technologique. L’évolution des besoins finit par relier les intérêts de certaines filières stratégiques. La sensibilité des secteurs concernés justifie une démarche nationale d’intelligence économique intervenant en support des priorités stratégiques fixées par l’Etat, à charge pour ce dernier de les définir.